La psycho
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      Sur les pas de Sigmund Freud,
      une visite au « 19 Berggasse »

      Sur les pas de Sigmund Freud, une visite au « 19 Berggasse »
      ©iStock

      Visiter les lieux où vécut Sigmund Freud est un moment émouvant, d'autant plus que le célèbre psychanalyste habita l'adresse autrichienne du « 19 Berggasse », dans le IXème arrondissement de Vienne, pendant quarante-sept années. C'est le 20 septembre 1891 que Martha, Sigmund et leurs trois premiers enfants, Mathilde, Martin et Olivier, s'installent dans la « rue de la Montagne » qu'ils ne quitteront qu'en juin 1938, sous la pression nazie. Pendant tout ce temps, Sigmund Freud fut fidèle à sa « prison » autrichienne et il résistera longtemps à l'idée d'en partir. Mais à la veille de la seconde guerre mondiale, la menace se fait de plus en plus précise avec l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne. Dès lors, la Waffen SS se rend au domicile des Freud, les obligeant à donner leurs économies, puis une perquisition a lieu dans les locaux du Verlag et Anna Freud est interrogée par la Gestapo pendant de longues heures. Les persécutions inquiètent l'entourage proche de Sigmund Freud qui convainc celui-ci de quitter Vienne pour Londres. Sous la houlette de Marie Bonaparte et d'Ernest Jones, les tractations diplomatiques vont bon train et le départ est enfin programmé mais, au moment de partir, le psychanalyste chenu écrira : « Au sentiment de triomphe qu'inspire la libération se mêle trop de tristesse car on n'a pas cessé d'aimer la prison dont on a été libéré », évoquant une Vienne honnie depuis toujours. La rupture est rude pour cet homme de 82 ans. Ultime consolation, il emmène dans ses bagages le mobilier de son cabinet viennois et le témoin princeps de la psychanalyse sera du voyage : le fameux divan, qui est désormais à Londres...

      La « Berggasse » a bien changé en un demi-siècle : le charme suranné de la rue pavée a laissé place à de l'asphalte bien lisse et les voitures se sont installées, en épi, devant l'immeuble du 19. Après l'Anschluss, la croix gammée avait été déposée au niveau de l'entrée, de telle façon qu'on ne pouvait pas l'éviter. Désormais, une plaque, ornée de drapeaux blancs et rouges, indique l'entrée du « Sigmund Freud Museum ». Ce bel immeuble bourgeois, massif et imposant, s'ouvre sur une entrée très coquette : d'un côté, deux portes donnent sur la cour intérieure et de l'autre côté se présente la cage d'escalier, soulignée par une rambarde et un lampadaire d'une grande finesse. C'est presque religieusement que l'on emprunte les escaliers qui mènent au premier étage. Là, sur le même palier, deux portes se font face, l'une ouvrant sur l'appartement familial des Freud et l'autre ouvrant sur le cabinet. À l'intérieur, toutes les pièces se rejoignent. La visite de ce musée est très surprenante eu égard au dépouillement total des pièces. Pendant son exil, Freud a emmené beaucoup de meubles et ce qui est resté a sans doute été pillé. Il ne reste donc plus rien au « 19 Berggasse » mais, c'est dans le cabinet où Freud officiait, que l'absence de mobilier pèse le plus. Le divan le plus célèbre de l'histoire de la psychanalyse est à Londres, ainsi que le bureau du Professeur, ses statuettes, ses livres... À juste titre, la directrice du musée Freud, Inge Scholz-Strasser, n'a pas souhaité installer une réplique du divan, préférant ainsi souligner le sens historique de cette absence. Tout est à Maresfield Gardens, dans la dernière demeure de Freud, érigée elle aussi en musée après le décès d'Anna, qui y vécut jusqu'en 1982. Vienne a donc été déshéritée.

      Edmund Engelman, le photographe de la postérité


      Visiter cet appartement vide laisse une impression étrange, quasiment mortifère. L'exil de 1938 est présent dans toutes les pièces et c'est en ce sens qu'aujourd'hui le « 19 Berggasse » est devenu aussi bien un lieu de mémoire de la psychanalyse, qu'une confrontation avec le passé nazi de l'Autriche. Dans l'après-coup de l'Histoire, on peut lire l'absence des meubles comme le témoignage de la barbarie à venir. Beaucoup d'artistes ont travaillé sur la difficulté de mettre en scène la mémoire et de représenter l'Holocauste. Certains, comme Jochen Gertz, ont tenté de matérialiser l'absence, en jouant avec l'idée de cacher l'œuvre. Cet artiste berlinois a réalisé le « Monument contre le racisme » en 1993 : lui et son équipe ont inscrit le nom des 2146 cimetières juifs d'Allemagne d'avant-guerre sous les pavés du Château de Sarrebruck ; à chaque nom de cimetière correspond un pavé gravé. Ce «Monument Invisible» est autant un hommage aux juifs qu'un travail sur la mémoire ; il en est de même de l'appartement du « 19 Berggasse » qui participe, involontairement, à la tentative d'inscrire le vide dans la représentativité puisque c'est l'absence du mobilier qui témoigne du passé. Ce musée, dont les appartements sont classés « Monuments Historiques », sert la mémoire collective. En ce qui concerne la trace définitive de ce que fut le « 19 Berggasse », rendons hommage à Edmund Engelman, puisque c'est lui qui prit une centaine de photos de l'appartement, dans l'urgence, en mai 1938. En immortalisant les lieux de résidence et de travail de Sigmund Freud, Engelman nous a laissé un précieux document. C'est August Aichhom, proche du psychanalyste, qui donna rendez-vous à son ami le photographe, lui disant que l'appartement des Freud, après leur départ, serait sans doute détruit et qu'il était indispensable, en prévision d'un musée, de prendre en photo tous ses coins et ses recoins. Imaginons alors cette entrevue au Stammcafé, entre deux hommes qui parlent de prendre des photos chez Sigmund Freud, ils chuchotent presque et ne peuvent se départir d'une grande méfiance vis-à-vis des personnes attablées à leurs côtés. Engelman et Aichhorn envisagent la chose comme s'il s'agissait d'une mission secrète ! En effet, il fallait agir sans alarmer la Gestapo qui surveillait l'appartement de la « Berggasse ». De plus, à ce moment-là, les négociations, pour laisser les Freud s'exiler en Angleterre, avaient abouti après le paiement d'une forte somme. La famille pouvait même emporter le mobilier mais aucun objet de valeur ne devait sortir du territoire. Cette dernière condition justifiait la surveillance étroite de la Gestapo et il ne fallait donc pas rendre caduque la possibilité du départ en se faisant remarquer. Il était donc impératif de prendre des photos sans flash, grâce à la seule lumière naturelle ou, éventuellement, électrique. Engelman prit alors ce projet très à cœur, à la grande satisfaction de Aichhorn mais celui-ci dut tempérer l'enthousiasme du photographe en lui précisant que Sigmund Freud était un homme âgé et cancéreux et qu'il fallait lui éviter toute nouvelle source de tension. Ainsi, il ne le verrait pas et prendrait les photos à son insu. C'est à l'aide d'un plan de l'appartement et de l'emploi du temps du psychanalyste qu'Engelman organisa ces journées, entre la peur et l'excitation mais avec la conscience de travailler pour la postérité.

      Des photos qui parlent…


      Les photos en noir et blanc du « 19 Berggasse » sont intéressantes à plus d'un titre : Engelman a scrupuleusement photographié l'itinéraire pour arriver jusque devant la porte d'entrée du « PROF Dr FREUD », depuis la rue et à l'intérieur, pas un pan de mur ne lui a échappé. D'autre part, il a aussi bien adopté la vision des patients que celle de Freud assis à son bureau. La salle d'attente du cabinet est très étonnante parce que c'est la seule pièce meublée. En effet, lors de l'inauguration du cabinet de consultation en musée, Anna Freud, qui était présente, donna quelques effets ayant appartenu à son père. Cette petite salle fait date dans l'histoire de la psychanalyse puisque c'est là qu'à partir de 1910 Alfred Adler, Wilhelm Stekel, Rudolph Reitler et bien d'autres se réunissaient lors des fameuses soirées de la «Société du Mercredi». Le prestigieux cénacle travaillait à ce qu'est devenue la psychanalyse, dans un épais nuage de fumée de cigare, dont la trace olfactive devait emplir les lieux profondément. Dans le cabinet proprement dit, seules les photos d'Engelman accrochées au mur donnent vie à la pièce, en restituant un peu de son aspect originel. On a du mal à imaginer que du temps de Freud, cet endroit ressemblait à un repère d'archéologue, les objets antiques grecs, romains et égyptiens envahissant tous les espaces libres. Derrière des vitrines, soigneusement alignés, on pouvait voir des statuettes, des masques, des vases. Autant de métaphores du passé relayées par des tableaux illustrant des évènements liés à l'antiquité. Sigmund Freud avouait d'ailleurs avoir lu plus d'ouvrages se rapportant à l'archéologie qu'à la psychologie.

      Sigmund Freud et le photographe


      C'est à Paula Fichtl que revenait la responsabilité de l'entretien du cabinet de travail. Tous les matins, vers huit heures, elle aérait le sacro-saint bureau, arrangeait la couverture du divan et époussetait les statues. Figure mythique du « 19 Berggasse », c'est elle qui accueillait les patients du Docteur Freud et qui veillait au bien-être du vieux Monsieur, qu'elle côtoiera de 1929 à 1939. La petite salle, où se trouve le bureau de Freud, est très agréable parce qu'elle est lumineuse et donne sur une petite cour intérieure égayée par un marronnier. C'est cette vue qui accompagnait le psychanalyste pendant la rédaction de ses nombreux livres et de son abondante correspondance épistolaire. Une photo d'Engelman prise depuis le fauteuil est saisissante : assis à son bureau, Freud avait un tel bataillon de statuettes posées devant lui que cela réduisait considérablement son espace de travail ! Une autre photo provoque un mystère insondable : le petit miroir, joliment encadré, que l'on peut voir sur les photos de 1938, est encore là, soixante-cinq ans plus tard ! Accroché à la poignée de la fenêtre, il a survécu à toutes ces décennies ! Engelman raconte que le troisième jour de la prise de vues, alors qu'il se trouvait dans le bureau de Freud, il entendit des pas arriver vers cette pièce. Les heures auxquelles il lui était possible de photographier les lieux avaient été étudiées de façon à ce que le psychanalyste ne se rende compte de rien mais le programme exhaustif des allées et venues du Professeur n'avait pas prévu l'envie de Sigmund Freud de retourner dans son bureau ! Les deux hommes, fort interloqués, se retrouvèrent alors face à face et Aichhorn arriva sur les talons du maître des lieux pour lui expliquer la situation. Du même coup, celui-ci consentit à poser pour Engelman, alors qu'il détestait cela. Le photographe put même prendre des portraits de Martha et Anna, bien que la chose fût rendue difficile par la faible luminosité, ce qui obligea les portraiturés à prendre la pose longtemps sans bouger afin que les traits se fixent. Cette rencontre inopinée permit à Edmund Engelmann de revenir au « 19 Berggasse » sans se cacher. Le reste du musée présente une salle réservée au passage d'une vidéo sur laquelle on peut voir quelques rares moments de la vie de Sigmund Freud. Mais quelle surprise de découvrir une petite salle, jouxtant l'entrée, où se vend aussi bien des choses honorables comme des livres, que des objets plus douteux comme des gadgets, stylos, boîtes d'allumettes ou briquets à l'effigie de Sigmund Freud. Ces « marchands du temple » sont bien loin de l'esprit du psychanalyste dont on peut penser, à coup sûr, qu'il aurait détesté que son image soit utilisée à des fins mercantiles. A quoi cela sert-il ? On ne peut raisonnablement pas penser que ces petits objets soutiennent financièrement la bonne marche du musée freudien !
      À la veille de la guerre, Engelman quitta lui aussi l'Autriche et gagna New-York après bien des péripéties mais il ne put prendre les négatifs des photos prises chez les Freud ; le risque était trop grand de se les faire confisquer. Il les laissa donc à August Aichhorn qui, avant de mourir en 1949, les légua à sa secrétaire qui, elle-même, les envoya à Anna Freud à Londres. Après la guerre, Engelman vint chercher ses négatifs à Maresfield Gardens et c'est la fidèle Paula Fichtl qui lui ouvrit la porte. Quant à l'appartement du « 19 Berggasse », après avoir été habité, il fut racheté par la «Société Sigmund Freud», créée en 1968, qui le réhabilita. Ce n'est qu'en 1989 que les Pfeiffer, qui occupaient l'ancien appartement des Freud, déménagèrent, laissant ainsi la possibilité à cette illustre adresse de se transformer entièrement en musée. Lors d'un séjour à Vienne, Engelman arpenta les lieux vides. Il pouvait reproduire mentalement l'emplacement de chaque objet. Sans doute, à sa mort en 2000, était-il le dernier à pouvoir se dire avoir connu le « 19 Berggasse » du temps de Sigmund Freud.

      Anne Soulier

       

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