Adrian Lyne
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Adrian Lyne*, un des plus grands metteurs en scène mondiaux, nous a fait l’immense privilège de nous recevoir chez lui, dans sa maison de campagne où il séjourne le plus souvent possible. Il est précis au rendez-vous, nous accueille en amies et nous installe dans la salle à manger, propose un café, caresse ses deux chiens, s’adresse à eux en américain, s’excuse de son français maladroit, se pose, et alors la magie commence…

Psychanalyse Magazine : Le fait d’être interviewé relève-t-il d’une “ proposition indécente ” ?
Adrian Lyne : Non, je ne crois pas ; ce qui est un peu gênant, c’est que le plus souvent on n’écrit jamais vraiment ce qu’on a dit, on change les mots. Par exemple, en ce qui concerne “ Lolita ”, lors de la première interview, le film a été condamné parce que le roman de Stanley Kubrick est un chef d’œuvre et évidemment, la version cinématographique ne peut être que moins bien que le livre ; bien sûr puisque le travail de Kubrick c’est du génie ; je serai donc toujours condamné.

P. M. : Lors de l’émission de Bernard Pivot “ Bouillon de Culture ”, vous semblez avoir été gêné par les interventions de certains invités au sujet justement de votre film “ Lolita ”…
A. L. : C’est vrai, quelques-uns ont été castrateurs mais d’autres, sur ce même plateau, ont vraiment aimé le film. Cependant, l’un d’entre eux, ayant écrit un livre sur des faits historiques au sujet de viols, m’est apparu orgueilleux. Ils ont parlé, de façon très intellectuelle et moi, je suis complètement à l’opposé ; j’ai avant tout une “ position émotionnelle ” et pour un film, c’est cela qui est important. À la réflexion, ce n’est peut-être pas une bonne idée de me mettre à côté de ces intellectuels, car, avec le barrage de la langue en plus, j’étais comme “ englouti ”…

P. M. : L’un des intérêts d’une psychanalyse consiste à sortir du “ paraître ”, de l’apparence. Qu’en pensez-vous ?
A. L. : Je suppose. J’ai moi-même fait une forme de thérapie. Pendant un an, lorsque j’avais vingt, vingt et un ans et cela m’a beaucoup aidé, beaucoup. J’avais des interrogations qui restaient sans réponse et de cette façon, une psychanalyste m’a aidé durant un an. Je crois à l’intérêt de la psychanalyse. Je pense qu’en Europe il y a davantage de doutes concernant ce métier, ce qui n’est pas le cas du tout aux Etats-Unis où tout le monde en suit une, peut-être même lorsque ce n’est pas nécessaire ! Il ne faut pas tomber dans l’excès. Oui, cette thérapie m’a beaucoup aidé ; c’est formidable de passer une heure en parlant avec quelqu’un qui va écouter ; c’est fabuleux.

P. M. : Le jeu des caméras, dans vos films, témoigne d’un grand souci de votre part pour le détail visuel. Quelle importance accordez-vous au regard ?
A. L. : On me reproche assez souvent d’être un peu obsédé du visuel dans mes films, ce que je trouve dommage parce que ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les comédiens. Ce qui est extraordinaire, c’est la relation que l’on crée avec le comédien et c’est cela que j’adore : une “ intimité ” immense durant des semaines, des mois et à la fin du film, on est très proche du comédien.

P. M. : C’est presqu’un travail de psychanalyste que vous faites ?
A. L. : Oui, pendant le film, on va voir le comédien, qu’il soit homme ou femme, rire et pleurer et ça, c’est fascinant. On les voit humains, sans masque. C’est fabuleux, c’est pour cela que je fais ce métier. Je n’aime pas lorsqu’il est dit que je fais de jolis plans ; j’ai commencé, il y a longtemps, avec des films de publicité et les critiques en parlent encore ; je reste “tamponné”, marqué et malheureusement, c’est encore mon identité pour certains. Bien sûr, le visuel est important mais ce qui me fascine, ce sont les comédiens. On est à la fois comme un parent, un amant, il faut savoir être tout en même temps. Il y a plusieurs années, j’ai réalisé “ L’Echelle de Jacob ”, je trouve que c’est mon meilleur film. Il y a dans ce film une scène dans laquelle Tim Robins est en enfer, il hurle : “ Non, je ne suis pas mort, je suis vivant ” ; il a une sorte d’objet de torture autour de la tête avec des clous et il hurle. J’ai commencé à pleurer quand j’ai regardé cette scène et je ne pouvais pas bien voir à cause des larmes. Le cameraman lui aussi pleurait et le chef opérateur également. C’était un cri du cœur. Je m’en souviendrai jusqu’à ma mort. Par la suite, je me suis trouvé dans un parking avec lui, nous marchions, il n’y avait pas de bruit, son visage était encore tout rouge, avec les veines gonflées tant il avait hurlé. À ce moment, je lui ai dit : “ Vous étiez fabuleux ” et, après un silence, il m’a répondu : “ Oui, je sais… ”. À cet instant précis, je l’ai aimé ; ce n’était pourtant pas du tout un élan sexuel, c’était encore plus que ça ; c’était vivre quelque chose d’exceptionnel ensemble. Je trouve que cet état n’arrive pas assez souvent sur un film mais quelquefois, on a cette chance. J’insiste encore, c’est pour cela que je fais ce métier, pour cet instant où l’on voit le comédien complètement “ nu ”. J’ai eu cette même expérience avec Michael Douglas sur un autre tournage. C’est un métier fait de privilèges. C’est comme une vie entière sous forme d’une petite vie que l’on partage avec les comédiens : on naît puis, on disparaît à la fin du film. C’est John Huston qui a dit : “ Faire des films, c’est comme avoir beaucoup de petites vies ”, c’est-à-dire une “ intimité extrême ” pendant trois mois et puis c’est fini, on ne se verra plus ou une fois par an.

P. M. : Y a-t-il comme une séparation ?
A. L. : Oui, à la fin du film, c’est affreux, vous ne pouvez pas savoir, même si le film a été un cauchemar à tourner. À la fin, c’est déprimant, cette séparation est très, très dure.

P. M. : Ce qui veut dire que vous avez une très grande sensibilité ?
A. L. : J’espère. Il faut être sensible, je suppose, pour faire ce travail. C’est d’ailleurs ce qui me guide dans mon choix des comédiens. Pour “ Lolita ”, par exemple, j’avais déjà opté pour une professionnelle lorsque j’ai reçu une cassette que Dominique Swain avait faite, chez elle, avec sa mère, où elle lisait des extraits du roman. Je l’ai trouvée fascinante parce qu’elle avait à la fois un pied dans la jeunesse et un pied dans l’âge adulte, c’était parfait. Un instant, elle avait dix ans et l’instant d’après, elle en avait dix-huit et même plus. C’est ce mélange exact que l’on a voulu dans le film. Elle n’avait aucune expérience, pas d’école dans le métier, pas une pièce, rien du tout et cela pouvait paraître ridicule de la choisir. Elle n’a jamais eu peur sur le plateau. C’était incroyable. Au moment du “ clap ”, normalement, même avec un professionnel, on voit la différence, une espèce de tension qui s’installe à ce moment-là. Avec elle non.

P. M. : Peut-on appeler cela un don ?
A. L. : Oui, parce qu’elle était tellement inventive. J’ai repris des gestes naturels qu’elle faisait dans la vie en me disant que je pourrais peut-être les utiliser dans le film. Par exemple, lorsqu’elle mâchait du chewing-gum et qu’elle n’en voulait plus, elle le mettait sur sa cuisse afin de le garder pour après : c’était à la fois un geste enfantin et puis, tout à fait érotique puisque sur la jambe. Durant les répétitions, j’avais inscrit sur une porte : “ Parler, écouter… ” afin de montrer qu’il ne s’agit pas seulement de parler mais qu’il faut savoir aussi écouter l’autre. Souvent, les comédiens ne savent pas faire cela car ils ne se préoccupent que de leurs paroles dans le script et ils ne se rendent pas compte que c’est important d’écouter ce que l’autre dit. Toujours dans “ Lolita ”, je pense à une autre scène que je n’ai pas mise dans le film mais que j’ai quand même utilisée : nous étions dans la rue avec Dominique Swain et tout à coup, pendant le tournage, elle a pris mon bras, mis quelque chose dessus en tapant et puis a léché pendant peut-être une minute ; moi, j’étais là, je marchais, trouvant cela bizarre, puis elle a arrêté et c’était un tatou ! Donc là, à nouveau, on retrouve une touche d’érotisme et encore l’enfant.

P. M. : En psychanalyse, on appelle cette attitude le transfert œdipien…
A. L. : Oui, et d’ailleurs, ce qui est bien à la fois dans le roman et dans le film, c’est que l’on ne sait jamais si Lolita se rend compte de ce qu’elle fait, c’est ambigu. Dans le roman, c’est très net et c’est ce que j’ai essayé de faire dans le film.

P. M. : Dans la première version cinématographique de “ Lolita ”, cette jeune fille est peut-être calculatrice, elle manque de fraîcheur. Qu’en pensez-vous ?
A. L. : Oui, comme un cours d’il y a quarante ans.

P. M.  : Peut-on dire qu’elle ressemble un peu à Brigitte Bardot dans ses premiers films ?
A. L. : Oui, on ne sent pas vraiment le côté enfant et j’espère que cela se sent davantage dans mon film.

P. M. : Pourtant, elle ne se comporte pas toujours comme une enfant ; c’est elle qui va au-devant de cet homme, elle le séduit en permanence…
A. L. : Oui mais elle ne sait pas ce qu’elle fait parce qu’elle est enfant.

P. M. : Son père est mort, le recherche-t-elle ?
A. L. : Bien sûr, d’ailleurs elle l’appelle “ papa ” dans le film.
(Long silence).
En fait, c’est vrai que j’aime beaucoup les détails, j’adore ça. Lors de l’émission de Bernard Pivot, j’avais à mes côtés une personne très sympathique qui présentait son roman : “ Vendredi soir ”, lequel est une formidable histoire d’amour. Il y a dans ce livre un passage que j’ai particulièrement aimé dans lequel l’héroïne se promène avec cet homme qu’elle ne connaît pas du tout car elle a fait de l’auto-stop ; il n’est pas encore son amant, il va le devenir et elle est à la fois terrifiée et fascinée ; elle dit oui, elle dit non. Ils marchent ensemble et elle porte ses gants, c’est alors qu’il lui prend le bras et met sa main à l’intérieur de son gant, ce qui veut dire que les deux mains partagent un seul gant et cela j’ai adoré. Si j’avais à tourner la scène, il faudrait absolument voir cet instant parce qu’il s’agit-là d’une intimité fabuleuse et tactile. Ensuite, elle va perdre le gant et essayer de le retrouver. Il y a la même chose dans “ Lolita ” lors de la scène où ils sont tous les trois sur une balancelle dans le jardin : sa mère, son beau-père et elle au milieu ; dans le roman, ils sont tout simplement assis dans le jardin. J’ai pensé à cette chaise parce que c’est plus intéressant, plus érotique d’avoir un mouvement de balancement. J’ai imaginé ses genoux à elle à côté des siens, la poupée qu’elle frappe et le grincement de la chaise, puis l’instant où tout à coup elle part à l’intérieur de la maison, met la radio à fond et danse en hurlant : “ Regarde-moi, regarde-moi ”. J’ai pensé qu’à nouveau, le mouvement de cette balancelle serait amusant, aussi bien dans un sens que dans l’autre et que ce serait intéressant de voir le visage tantôt apparaissant, tantôt disparaissant. C’est étonnant comme un détail peut changer une scène ; ce sont des questions de choix ; bien souvent, je pense qu’au lieu de m’appeler un “ director ”, il serait préférable de m’appeler “ selector ”.

P. M. : Dans “ Proposition indécente ”, pourquoi Robert Redford ne reste-t-il pas avec Demi Moore ? Cette fin est surprenante…
A. L. : Je suppose que c’est parce que c’est un conte de fées. Effectivement, beaucoup de personnes trouvent la fin étonnante. Redford est la seule vraie vedette avec laquelle j’ai travaillé. Il est majestueux, d’une grande prestance. Sur le plateau, lorsqu’il arrivait, je savais sans regarder que quelque part il était là parce qu’immédiatement l’atmosphère devenait plus silencieuse. Il incarne vraiment une légende. Je reviens à votre question : je pense que la fin du film est ainsi parce qu’elle est toujours aussi amoureuse de son mari, non ?

P. M. : Peut-être ne s’autorise-t-elle pas à être quelqu’un de “ noble ” ?
A. L. : Oui, peut-être, elle est disons “ coincée ”.

P. M. : Elle semble avoir une culpabilité de toute façon à quitter son mari…
A. L. : Oui. Au commencement du film, les choses ont été à la fois très dures et intéressantes ; j’avais demandé à un scénariste, que je connais bien, de travailler sur ce script mis il se fâchait et disait : “ Non, je ne veux pas être partie prenante de cette histoire ”. Il trouvait l’idée “ dégueulasse ”. J’étais surpris car nous avions déjà fait ensemble “ L’échelle de Jacob ”. C’était comme si on peut pardonner à la pute mais pas au maquereau et le problème était là.

P. M. : En fait, pris analytiquement, dans ce film, l’héroïne n’aime pas son mari puisqu’il y a une compulsion de répétition dans les dialogues où elle dit systématiquement : “Est-ce que je t’ai dit que je t’aimais ?”. C’est comme si elle cherchait à se convaincre d’un amour qu’elle voudrait éprouver pour lui.
A. L. : Oui, je comprends, mais c’est plutôt un jeu entre eux deux. Quoi qu’il en soit, vous avez raison.

P. M. : De toute façon, ce n’est pas innocent au niveau de l’inconscient.
A. L. : Oui, c’est intéressant, je n’avais pas pensé à cela.

P. M.  : Mais alors, l’amour existe-t-il ?
A. L. : Je pense que l’on peut être follement amoureux de quelqu’un, de quelqu’une seulement pour quinze seconde, pour deux minutes.

P. M. : Peut-on envisager qu’il s’agisse de la rencontre de deux pulsions un peu hors du commun, à l’instant “ t ”, même si ça ne dure pas longtemps ?
A. L. : Oui, et cela peut arriver aussi bien pour un homme que pour une femme. Je ne suis pas homosexuel mais je crois que l’on peut vivre à certains moments des instants d’une telle profondeur que là, c’est vraiment de l’amour.

P. M. : Quelles raisons vous ont poussé à choisir Demi Moore comme actrice principale dans “ Proposition Indécente ” ?
A. L. : Elle est fascinante. Pourtant, durant le tournage, c’était très difficile avec elle. Par exemple, dans une scène, si on la veut debout elle se met assise !

P. M. : Elle fait de l’opposition en quelque sorte.
A. L. : Oui, complètement, mais elle est très intelligente. Cependant, il pouvait y avoir une véritable “ guerre ” entre nous. Elle se défend mais elle est incroyable : je me souviens d’une fois où nous étions dans le désert, à côté de Las Vegas. Il était quatre heures du matin et nous attendions l’aube pour tourner. Je demande : “ Mais où est Demi ? ”, et alors que nous étions dans ce désert, à au moins 10 km de Las Vegas, en plein milieu de la nuit, elle arrive là, en courant avec son entraîneur ; elle avait couru depuis Las Vegas avec une sorte de petite lampe de mineur sur la tête qui bougeait. C’était insensé. D’ailleurs, chaque jour, elle arrivait à bicyclette de Malibu.

P. M. : Considérez-vous cette attitude comme un excès ?
A. L. : Oui, lorsque je l’ai vue pour la première fois, elle venait d’avoir un enfant et elle était ronde, fabuleuse. J’ai beaucoup aimé son allure parce qu’elle était vraiment comme une femme et c’est ce qui m’a séduit par rapport à d’autres comédiennes. Je l’ai donc choisie pour le film et immédiatement, elle s’est mise à faire le régime. Je lui ai dit : “ Non, je t’en supplie, ne fais pas ça ”, mais elle m’a répondu qu’il lui fallait des muscles !

P. M. : Qu’est-ce qu’une femme ?
A. L. : Oh ! Ça, c’est une question… J’adore les femmes. Je trouve qu’elles possèdent vraiment tout en elles. Sans parler directement de moi, je pense que même lorsqu’on est très amoureux de quelqu’un, il n’y a personne que l’on puisse aimer de façon linéaire : il y a des instants où l’on va l’aimer follement mais d’autres, à l’inverse, où on ne pourra pas imaginer pouvoir détester quelqu’un plus que ça. Finalement, il y a toujours ce contraste. Je ne sais pas si c’est possible d’avoir l’un sans l’autre. Peut-on ? Est-ce que c’est possible ? J’en doute.

P. M. : Il existe toujours une ambivalence chez tout être humain. Il y a toujours le corollaire inversé… Sinon ce serait l’être parfait et s’il était parfait, il ne serait pas intéressant.
A. L. : Oui, je suppose.

P. M. : En Français, lorsque l’on parle d’une Lolita, il s’agit d’une femme de petite vertu. Pour vous, qu’est-ce qu’une “ Lolita ” ?
A. L. : Voyez mon film, si vous le souhaitez, mais ce qu’il faut absolument, c’est lire le roman : cette histoire est incroyable, à la fois affreuse et tellement délirante. Finalement, ce qui est le plus étonnant, c’est que c’est une véritable histoire d’amour.

P. M. : Un cinéaste projette sur un grand écran ce que Jacques Lacan appelle le “ registre imaginaire ”. Quel impact ce métier peut-il avoir sur les spectateurs ?
A. L. : Je pense que les femmes sont beaucoup plus libérées que les hommes ; par exemple, dans “ Neuf semaines et demie ”, le thème de ce film a souvent rendu les hommes fous furieux ! L’idée de passer dix semaines à faire n’importe quoi, à réaliser n’importe quel fantasme a davantage séduit les femmes qui manifestent beaucoup moins de culpabilité que les hommes. Le même phénomène s’est produit pour “ Lolita ”. Il paraît que beaucoup de femmes sont venues seules voir le film. Je pense que les hommes ont davantage de complexes. Lorsque “ Neuf semaines et demie ” est sorti, j’ai eu des problèmes avec les féministes parce que, à l’époque, le mouvement était au plus haut. Par ailleurs, il est des choses qui passent beaucoup plus facilement dans un roman qu’à l’écran.

P. M. : Voulez-vous dire qu’on ne se trouve pas dans la même énergie si on lit un roman ou si l’on va au cinéma ?
A. L. : Tout à fait. Il y a justement dans le roman de “ Neuf semaines et demie ” une scène que j’ai aimée et qui, je pense, aurait été complètement impossible à filmer : c’est le type qui est devant sa télé, regardant un match de football, je crois. Une femme est là aussi, contre le mur, avec des menottes. C’est une scène un peu sado-maso. D’abord, elle s’ennuie. Lui regarde sa télé et l’ignore. Au début, c’est de la comédie et puis, au bout d’une demi-heure, d’une heure, les menottes lui font mal et elle se met à pleurer. Finalement, le match se termine et l’homme fait l’amour avec elle, là, avec les menottes. Le livre rend un mélange à la fois de douleur et de plaisir. Le filmer aurait été impossible aux Etats-Unis. Peut-être qu’en France, ces choses-là sont mieux comprises et acceptées.

P. M. : En France, ce film a été très apprécié. Il a reçu de nombreux échos favorables.
A. L. : Je sais. Même aux Etats-Unis, on achète ou on loue toujours le film. Apparemment, cela touche les gens de très près. Pourtant, à sa sortie, c’était effrayant, les salles étaient quasiment vides, et cela durant six mois. Avec les Présidents de la M.G.M., nous étions vraiment angoissés ; on regardait les gens quitter la salle durant le film. Aux Etats-Unis, les choses sont ainsi : on ne peut pas, on n’ose pas s’asseoir à côté de sa femme ou de sa copine en montrant que l’on éprouve du plaisir. On préfère aller voir le film seul.

P. M. : Est-ce que cela s’appelle de la pudeur ?
A. L. : Oui, je pense. Aux Etats-Unis, c’est ahurissant. Par exemple, on va mettre dehors de l’école un petit garçon de six ans qui aura embrassé sa copine. On le renvoie pendant deux semaines pour harcèlement sexuel ! C’est insensé.

P. M. : Trouvez-vous les Américains moralisateurs en règle générale ?
A. L. : Absolument, je ne sais même pas si “ Lolita ” pourra y sortir un jour parce qu’on a tellement peur du sujet. Les Américains ne sont pas courageux du tout.

P. M. : Avez-vous l’impression que les Américains prennent les choses trop au premier degré ?
A. L. : Oui. Évidemment, la pédophilie est un problème affreux mais on ne va pas le modifier ou le résoudre en faisant semblant de croire qu’il n’existe pas. C’est comme cacher quelque chose sous le tapis et ça c’est ridicule. Il faut faire un film, une belle pièce, quitte à se bagarrer ensuite. Ce qui est important, c’est d’avoir justement des idées pour pouvoir faire changer un problème.

P. M. : Les psychanalystes peuvent rencontrer ce genre de difficultés car il leur est souvent reproché de faire un métier “ dangereux ” parce qu’ils évoluent dans des sphères psycho-sexuelles, ce qui dérange. Freud dérange toujours.
A. L. : Oui, la société a peur, mais pour ce qui est de la psychanalyse c’est peut-être davantage une crainte en Europe, plutôt qu’aux États-Unis. C’est dommage car une analyse, c’est intéressant, fascinant. L’analyse que j’ai faite était freudienne. Ma psychanalyste était de Vienne et cette façon d’expliquer les choses “ cruciales ” de la jeunesse, de les comprendre, aide beaucoup. C’est utile, plutôt que de rester dans le noir complet.

P. M. : Peut-on dire que la thérapie que vous avez suivie a eu une influence sur vos films ?
A. L. : Je ne sais pas, je n’y ai jamais pensé mais j’espère que oui. Cela m’a sans doute aidé dans le travail avec les comédiens, aidé à mieux comprendre les autres, à être plus ouvert et surtout à n’avoir plus peur.

P. M. : Qu’aimez-vous chez l’être humain ?
A. L. : Ce que j’adore voir chez les gens, c’est leur vulnérabilité. Je crois que les spectateurs recherchent ceci aussi dans un film. Je pense à une comédienne comme Kim Bassinger. Elle est très belle mais elle est terrifiée par tout. Si on lui propose une rencontre dans un restaurant, elle refuse. Elle demande s’il est possible de se retrouver en dehors du restaurant et ensuite de rentrer ensemble parce qu’elle ne veut pas traverser seule la salle du restaurant. Lors du tournage de “ Neuf semaines et demie ”, véritablement, elle avait peur de Mickey Rourke et cette faiblesse, je trouve que c’est une qualité très plaisante. On doit montrer sa faiblesse et ne pas tenter de la cacher comme ces intellectuels dans l’émission de Pivot parce que, en les écoutant, on se demande bien où est leur faiblesse. Ils ont quoi “ pour de vrai ” ces hommes qui font semblant de tout savoir ?

P. M. : Insinuez-vous que vous aimez les gens authentiques ?
A. L. : Absolument et je suis sûr que le public aussi. Je suis tout à fait d’accord avec François Truffaut lorsqu’il a dit que les metteurs en scène américains aiment bien faire des films avec des héros et que les metteurs en scène européens font, eux, des films dévoilant les faiblesses, c’est-à-dire l’authenticité. Je trouve le profil du héros beaucoup moins intéressant.

P. M. : Parlez-vous ainsi du cinéma intimiste ?
A. L. : Oui, les gens aiment bien mettre les pieds dans les chaussures du comédien. Ils ont besoin de se retrouver au travers de celui-ci.

P. M. : Décidément, peut-on dire que le cinéma a valeur de thérapie ?
A. L. : Pour moi, oui, et je pense qu’il en est de même pour les spectateurs. Assez souvent, vu superficiellement, un film a priori ne touche pas mais lorsqu’on prend la peine d’y réfléchir, de s’y plonger, on se rend compte que l’on est tous plus ou moins concernés par ce qui s’y passe. Ainsi, tout le monde a un jour connu un problème, tel que celui de Michael Douglas dans “ Liaison Fatale ”, connu une femme comme Glenn Close ou bien s’est retrouvé dans la position de l’épouse.

P. M. : À ce propos, une femme s’engage-t-elle davantage, est-elle beaucoup plus passionnée que l’homme en règle générale ?
A. L. : Oui, c’est certain… J’ai dû changer la fin du film et tout le monde a pensé que c’était pour des raisons financières. En réalité, l’autre fin n’était pas bonne. C’était trop plat. Glenn Glose a eu vraiment peur lors du tournage de cette fin lorsqu’elle rentre dans la salle de bain de Michael Douglas, lorsqu’elle apparaît dans la vapeur avec le couteau qu’elle tient là contre sa cuisse. C’est un détail très intéressant car je me suis rendu compte que le couteau bien aiguisé, tranchant, pouvait faire un trou dans la robe, voire même blesser la chair. Glenn Glose était tellement angoissée que c’est ce qui s’est passé. Elle ne s’en est même pas rendue compte parce que à ce moment-là, dans le rôle, elle était tellement “ psychotique ” qu’elle ne pouvait pas le sentir. J’ai trouvé cela fabuleux et lorsqu’on regarde la scène, c’est épouvantable, c’est terrifiant.

P. M. : Il y a une maladresse à la limite dans le geste, un suspens qui déclenche le stress.
A. L. : Oui, ce sont des effets que l’on voit souvent comme dans les films d’Hitchcock par exemple.

P. M. : Et vous, êtes-vous angoissé et exercez-vous un métier angoissant ?
A. L. : Oui, mais pas toujours, bien sûr. C’est un peu comme l’amour, il y a des “ contrastes ”. Toutefois, je pense qu’il faut un peu d’angoisse pour projeter la vérité sur un écran.


* Sa filmographie :

1980 : Foxes
1983 : Flashdance
1986 : 9 semaines 1/2 (Nine 1/2 Weeks)
1987 : Liaison fatale (Fatal Attraction)
1990 : L'Échelle de Jacob (Jacob's Ladder)
1993 : Proposition indécente (Indecent Proposal)
1997 : Lolita
2002 : Infidèle (Unfaithful)

 

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